Lorsqu’il est envisagé de se séparer d’un partenaire économique avec lequel existe une relation commerciale significative, il faut lui accorder le temps nécessaire pour lui permettre de se réorganiser. Il est indispensable de réfléchir en amont sur le délai à lui accorder avant la fin de la relation puisqu’il est interdit de rompre brutalement une relation commerciale établie sous peine de voir engager sa responsabilité et de devoir verser des dommages et intérêts à l’entreprise délaissée.
- I – Accorder un préavis est une obligation légale
Le respect d’un préavis est obligatoire pour ne pas se voir reprocher le délit de rupture brutale d’une relation commerciale établie.
L’article L.442-1 2° du code de commerce sanctionne le fait « par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce, ou aux accords interprofessionnels ».
Ce même article prévoit :
1) que la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée pour cause de durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois ;
2) qu'il est possible de résilier sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Enfin, il n’est pas possible de déroger à cette obligation en convenant à l’avance avec son partenaire d’exclure tout préavis en cas de rupture de la relation.
- II – L’estimation du préavis repose sur différents critères
Lorsque les circonstances permettent d’anticiper la rupture de la relation avec un partenaire commercial, la difficulté est d’apprécier quel serait le délai raisonnable puisqu’il n’existe pas de barème prescrit par la loi.
C’est au regard des grandes tendances issues de la jurisprudence qu’il faut tenter d’évaluer quelle durée de préavis pourrait correspondre au temps nécessaire pour le partenaire victime pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d’un maintien des conditions antérieures (CA Paris Chambre 5-4, 20 décembre 2023 n°21/10329).
Le temps raisonnable du préavis s’apprécie en fonction de l’ancienneté de la relation : une durée moyenne d’un mois par année d’ancienneté dans la relation est habituellement retenue.
D’autres éléments factuels doivent également être considérés tels que l’évolution du chiffre d’affaires réalisé avec le partenaire, l’importance de ce chiffre d’affaires dans le résultat global du partenaire, le secteur concerné, les investissements spécifiques, …
L’existence d’un état de dépendance économique n’entraîne pas automatiquement l’allongement du délai de préavis. Il peut être exigé que la victime prouve que l’auteur de la rupture représente une part prépondérante dans son chiffre d’affaires (CA Paris 5-4, 2 mars 2022, n°19/19443).
De même, l’état de dépendance économique ne doit pas résulter d’un choix de la victime (CA Paris 5-4, 26 octobre 2022, n°20/17281).
Tous ces éléments sont appréciés au moment de la notification de la rupture (Cass, com. 17 mai 2023 n°21-24.809).
- III - La date de la fin de la relation doit être précisée lors de la notification du préavis
Faire part à son partenaire de son intention de rompre la relation sans date de fin ne suffit pas pour faire courir le délai de préavis : avant de rompre une relation commerciale établie, le préavis doit être clairement notifié.
La notification est nécessairement écrite et doit préciser la date de la rupture.
La jurisprudence est constante pour retenir que le point de départ du préavis est la date de notification de la décision non équivoque de mettre un terme à la relation. En l’absence de notification, le caractère prévisible de la rupture est indifférent (Cass, com. 28 septembre 2022, n°21-16.209).
Dans le cadre d’un appel d’offres, la simple notification de mise en concurrence ne constitue pas le point de départ du préavis.
La Cour de cassation a réaffirmé que la notification de l’intention de rompre la relation n’est régulière et ne fait courir le délai de préavis que si la date de la rupture est précisée (Cass, com. 20 mars 2024, n°23-11.505).
- IV – Les juges du fond apprécient souverainement la durée du préavis
En cas de saisine de la juridiction compétente, chaque affaire fait l’objet d’une analyse concrète de la relation commerciale par les juges du fond pour déterminer le temps raisonnable du préavis.
La Cour de cassation a rappelé que la juste durée est appréciée au cas par cas par les juges en ajoutant que ces derniers n’ont pas à expliquer la raison pour laquelle ils considèrent que cette durée est suffisante au regard des critères légaux et jurisprudentiels (Cass, com. 18 octobre 2023, n°22-20.438).
Si un contrat existe entre les parties et si une durée de préavis est prévue, les juges du fond vérifient que le délai de préavis contractuel tient compte de la durée de la relation commerciale ayant existé entre les parties et des autres circonstances.
Jusqu’alors les juges n’étaient pas tenus par la durée du préavis contractuel et pouvaient l’allonger ou le réduire.
Mais la Cour de cassation a jugé qu’en cas de rupture d’une relation établie, les juges doivent apprécier si la durée du préavis doit être égale ou supérieure à celle prévue contractuellement ; le préavis ne pouvant ainsi être inférieur à celui prévu au contrat (Cass, com. 28 juin 2023 n°22-17.933).
En conclusion, au-delà de la bonne estimation de la durée du préavis à accorder et du formalisme à respecter au moyen d’un écrit spécifiant l’intention de rompre et la date précise de la rupture pour que le préavis commence à courir, il ne faut pas négliger à l’égard d’un partenaire de longue date l’importance d’une communication respectueuse tout au long du processus de rupture.